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par Ralke » sam. 25 avr. 2015 à 21:54
Scène de vie dans le bac, n°01 : "faim, j'ai toujours faiiiim..."
[ATTENTION : PAVE !]
J'ouvre le bac dans l'après-midi, histoire de nourrir les écailles avec les habituels cyclops et cladocères de l'un de mes trois (TROIS !) seaux bouillonnants de vie.
D'ailleurs, je trouve assez ennuyeux que ces fichus 6 supposés juvéniles de vairons me boulottent systématiquement toutes les mini-bêtes que je leur refile dans les 30 secondes du largage grand 'max. Entre le fait que les plantes n'ont pas encore assez d'envergure pour servir de micro escale entre le bac et l'estomac des poiscailles et la tendance qu'ont développé ces poissons censément farouches à se masser la gueule grande ouverte, juste en dessous du récipient de dinette vert pomme qui me sert de louche d'alimentation, la séance ressemble plus à une becquée qu'à des repeuplements massifs de cyclops.
Bref, à chaque fois j'ai l'image des poissons carnassiers qui essaient de boulotter Scratch dans l'Âge de Glace 2 (t'as vu la référence, Dédé ? si c'est pas du papa moderne ça...), mais je n'ai jamais vu un cladocère se la jouer ninja furieux pour filer une branlée aux vairons.
Or donc, je reste faire du désherbage dans la pelouse sauvage qui nous sert de no man's land entre la clôture qui protège nos terreurs de la berge ravinée et l'auvent qui abrite le bac, quand me vient l'idée de laisser ledit bac respirer un peu. Pas de risque qu'un oiseau vienne nous boulotter notre friture sous mon nez.
Je suis depuis une petite heure en pleine action, genre de loin j'ai la tenue de camouflage parfaite, avec plein de tiges de plantes accrochées à mes loques ; je fais une pause en lorgnant d'un œil mauvais les ronciers du fond qui se battent depuis le début du printemps avec les muriers, myrtilles, groseilliers et autres framboisiers.
Pis je me dis qu'une rallonge de mini-bêtes ne peut pas faire de mal aux juv', rapport au fait qu'ils sont en pleine croissance, s'pas ? Leur faut des protéines bio, toussa...
Dans la louche, cette fois, en plus du bouillon habituel, je récupère une énorme larve de moustique, plus grosse que la tête du plus jeune des poissons. Me dis que cette larve deviendra moustique avant que les autres gus soient en capacité de gober le truc.
Ts ts... elle n'a pas atteint la surface de l'eau que le comité d'accueil est déjà au garde à vous, et deux secondes plus tard, "il est où le magneau ?", la larve est déjà en phase de digestion dans le corps (je n'ose dire l'estomac) d'un des poiscailles, et pas le plus gros. J'ai été victime d'une illusion d'optique, parce que j'ai cru qu'au moment du gobage, la larve avait été pliée en quatre pour être avalée.
Bon, jusque là, rien d'extraordinaire. Erreur d'appréciation du débutant. Il paraît que la bouffe des poissons répond à peu près à la même règle simple qui veut que le chat passe n'importe où pourvu que la tête y rentre. Ben, pour le poisson, si le corps est plus gros que la proie, il paraît que la proie sera casée quelque part dedans, même si la bouche ne semble pas le permettre a priori. J'dis ça, j'dis rien, simplement, pour les chats, je confirme.
Bon, bon. Je m'avise qu'un débris flottant disgracieux trouble ma vision zen du bac. Je prends ma tige d'acacia flexible et m'apprête à retirer le truc souple et dégueu, te voilà-t-y pas qu'un des poissons commence à attaquer le bout de la tige ? Un microbe de même pas 4 cm d'envergure, de la poupe à la proue, qui mordille la tige !
Je ricane et hausse un sourcil devant les velléités de l'apprenti piranha, que les autres observent avec intérêt.
Je décide alors de pousser l'expérience plus loin. Comme dans tous les coins (semi)ruraux, les jours où il fait lourd, une carrousel de petites mouches nerveuses trompe l'ennui philosophique de leur espèce en tournant sous l'auvent, à la fraiche.
Ni une ni deux, je me saisis de la "papette", comme dit notre aînée, et j'en assomme à moitié une en plein vol.
Je la récupère.
[Avertissement : que les âmes sensibles s'abstiennent de lire la suite, constituée d'ultra violence gratuite et complaisante...]
Puis je la fais tomber négligemment dans le bac. La mouche a une dimension d'environ 40% de la taille du plus gros juvénile. A priori, la bouche du plus gros ne peut pas permettre l'ingestion.
Vous avez vu des western spaghetti, comme "Il était une fois dans l'Ouest" ? Quand les types s'observent des heures en se jetant des regards torves avant de dégainer comme l'éclair et de commencer la tuerie ? Bon, ben là, vous passez direct à la tuerie et vous y êtes.
Ce que j'ai vu distinctement, c'est qu'à un moment, à l'autre bout du bac, y'en avait un qui filait avec deux pattes de mouche qui lui sortaient de la gueule en lui faisant une moustache à la Dali, les 5 autres qui le coursaient pour tenter de lui dérober son repas déjà ingéré.
C'était même pas le plus gros, il faisait 3 cm environ.
J'ai repensé à certains du forum qui supposaient que j'avais pu récupérer des black bass... Franchement, pour moi ce sont des vairons, mais l'expérience m'a scotché, puis amusé.
J'ai recommencé l'opération un certain nombre de fois, sous l'œil mi intrigué mi réprobateur de ma chère et tendre, et les vivats de mes deux filles, sorties de la sieste en plein carnage et se tartinant consciencieusement le museau du chocolat du goûter.
Le must, c'est qu'entre deux festins de mouche, des bestioles volantes ont servi d'intermèdes volontaires et spontanés ; pour une fois que le bac était ouvert, ç'aurait été bête de pas y mourir dedans (adage de moucheron).
Nouvelle situation, nouvelle découverte : j'ai peut-être récupéré des poissons volants, en fait. Fallait les voir se masser comme des hystériques au dessous de la bébête puis sauter hors de l'eau pour essayer de la gober. Si le premier ne l'avait pas eu, le quatrième était bon. Cela faisait plic-ploc, avec les débiles qui sautaient comme des dauphins dans un parc d'attraction aquatique, pour un moucheron encore moins futé, qui après la troisième agression caractérisée venue des fonds marins, restait toujours là, à furieusement virevolter à quelques centimètres de la surface.
C'était grandiose, même si jusque-là, relativement prévisible. Mes bestioles ne faisaient que reproduire l'une des façons les plus communes de se nourrir en extérieur.
Non, la raison d'être de tout ce préambule, c'est la suite.
Imaginez la scène, moi hilare, indiquant à ma chérie indifférente que Salvador s'était réincarné en vairon furieux, pendant que mes deux filles couraient en tous sens en essayant d'attraper une nouvelle mouche pour faire "disputer les pitis poissons".
Soudain se fait entendre le bourdonnement caractéristique de basse fréquence d'une machine de guerre venue d'ailleurs, j'ai nommé le frelon asiatique, lui aussi attiré par le bac grand ouvert, promesse d'arrêt ravitaillement d'eau gratuit. On a de temps en temps la visite de ce genre d'importuns, quand on habite en bord de berge (Pour la petite histoire, la proximité d'un nid à moins de 5 mètres de soi est considéré officiellement comme un danger de mort).
En un mot, j'intime à mes filles de rester immobiles, comme pour "jouer à chat" - plus surprenant, cela marche, elles ne bougent plus -, puis je suis la trajectoire, vigilant et héroïque, du péril jaune (et noir). A la taille du machin, je confirme l'origine asiatique du frelon, et maudis un nouvelle fois, silencieusement, les espèces invasives en tous genres et particulièrement celles qui piquent.
Je regarde, fasciné, le frelon se rapprocher du bac.
Y'a des mouvements dedans, je le note d'abord distraitement, mais ça insiste, alors je défocalise le dalton et me concentre sur un banc de 6 poissons débiles, collés à la paroi du bac, en train de suivre chaque mouvement de droite à gauche du frelon, descendant en profondeur si l'insecte piqueur descend, remontant à la surface s'il fait mine de s'approcher de l'eau... Ces petits nerveux avaient exactement la même attitude que lorsqu'ils chassaient le moucheron tout à l'heure, malgré l'évidente différence de gabarit.
Un instant je me dis : "c'est pas vrai, ils vont vraiment essayer de se le faire, ce truc est 4 fois plus gros que le plus gros, mais ils vont sauter pour se le payer..." J'imagine déjà le saut de la mort improbable. Mais heureusement, le frelon ne s'approchera jamais suffisamment de la surface pour vérifier, peut-être perturbé par les mouvements bizarres de l'eau au-dessous de lui.
Le frelon parti, la pression retombe et je réalise que j'ai 6 petits Rambos dans mon bac, peur de rien, mais surtout d'indécrottables morfales. Bref, des créatures cartoonesques qui je le pressens vont me faire changer d'avis sur les petits poissons craintifs et leur régime alimentaire.
C'était l'épisode 1 du feuilleton "scènes de bac" ; à venir, "la fashion week des phryganes : plus de vert, que j'te dis !"...